Alors que Jessica Chastain,vient de recevoir un hommage au festival de Deauville 2014 (le 5 septembre dernier lors de la soirée d’ouverture), son prochain film « Mademoiselle Julie », sort au cinéma. Le film est présenté en avant-première ces jours-ci au festival de Toronto (TIFF, du 4 au 14 septembre 2014).
« Mademoiselle Julie » est l’une des pièces du suédois August Strindberg les plus jouées dans le monde, et a fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma. Alors que vaut la version de la réalisatrice et actrice Liv Ullman, muse du réalisateur Ingmar Bergman ?
Synopsis de Mademoiselle Julie
1890, Irlande. Tandis que tout le monde célèbre la nuit des feux de la Saint Jean, Mademoiselle Julie et John, le valet de son père, se charment, se jaugent et se manipulent sous les yeux de Kathleen, la cuisinière du baron, jeune fiancée de John. Ce dernier convoite depuis de nombreuses années la comtesse voyant en elle un moyen de monter dans l’échelle sociale.
Avis express
Même si le sujet de Mlle Julie est ardu et austère, j’ai apprécié le film. Mademoiselle Julie est l’une des pièces de Strindberg les plus jouées dans le monde.
La transposition en Irlande est une bonne initiative de Liv Ullmann, ainsi que les idées de mise en scène (le début idyllique dans la nature, le clin d’œil à Ophélie, autre personnage féminin tragique – issu de la tragédie d’Hamlet de William Shakespeare…) Liv Ullmann a été manifestement très inspirée par la pièce originale, mais aussi par sa collaboration avec Ingmar Bergman. C’est fou comme le résultat est moderne, malgré les costumes ! La musique classique ajoute à l’atmosphère créée, on ressort du film assez sonné et mélancolique.
Jessica Chastain mérite un prix d’interprétation pour l’étendue de son jeu. Je ne vais pas m’étendre sur son talent déjà récompensé dans un autre domaine, pour un personnage opaque dans « Zero Dark thirty« .
Ici elle joue Julie, jeune femme névrosée, traumatisée par la perte de sa mère et la froideur de son père. Une femme fragile, incertaine de sa place dans le monde, et de ses désirs sexuels… Miss Julie est un défi pour une actrice, car ce personnage évolue au cours de la pièce ou du film. Telle une porcelaine, on admire sa beauté et sa pureté ; elle semble forte, solide et froide… Mais à tout moment elle risque de se briser ! A l’instar de John le valet ou de Kathleen, nos sentiments envers le personnage changent : est- elle à plaindre tout le temps ou exécrable ? Suicidaire ? Réellement amoureuse de John ? Liv Ullmann et Jessica Chastain se gardent bien de nous livrer une réponse toute faite. Et c’est très bien comme cela.
La relation étrange qui relie Miss Julie et son valet est au creux de l’histoire. Comme Miss Julie, John (ou Jean) est un personnage complexe. Colin Farrell colle bien au personnage. L’acteur ne me convainc pas toujours dans tous ses rôles, mais dans celui du valet John, c’est un bon choix de casting. Son fort accent irlandais est marquant, ensuite son côté physique, brut de décoffrage ressortent parfaitement sous les dehors policés de ses habits de valets… On sent sa frustration, sa volonté de s’élever dans la société, les drames qui l’ont façonné… Ment -il à Julie tout le long ? ou est-il amoureux d’elle depuis l’enfance ? Dans son regard, on retrouve l’obsession, les vexations… l’alternance entre soumission et rébellion…
Les affrontements physiques et les joutes oratoires ( quel texte !) entre les deux personnages sont des moments très forts.
Et enfin j’aime beaucoup ce que fait Samantha Morton – comme d’habitude. Elle est Kathleen la cuisinière bonne à tout faire (ou Kristin dans la version de Stringberg). Cette « voix de la raison » semble a priori sensée et équilibrée mais la fiancée de John sera capable d’une certaine cruauté – alors qu’au début on éprouvait de la compassion voire de la sympathie pour elle. Elle est également puritaine et pour elle, « chacun doit rester dans son milieu ». Pour ce rôle, Samantha Morton n’est pas à son avantage physiquement : elle paraît bien terne en contraste avec Jessica Chastain (sa robe de châtelaine bleu canard qui fait ressortir la pâleur de sa peau et sa crinière rousse). Un second rôle complexe qui s’avère au final bien moins secondaire qu’il n’y paraît. Les deux personnages féminins sont différents en tout, et malgré tout le simple fait d’être femme les rapprochent … et les opposent ! A la fin, c’est Kathleen qui part et devient presque élégante pour aller à la messe, alors que Julie n’est plus que l’ombre d’elle-même, salie et décomposée…
Les personnages de ce film sont opposés et complexes, et tous finalement cherchent à échapper à leur destin,et à dominer l’autre – malheureusement pour eux, la société du XIXe siècle ne leur en laisse pas la possibilité, et le plus « faible » connaîtra un destin tragique. La pièce de Strindberg est sujette à de nombreuses analyses tant au niveau sociologique que psychanalytique…
Avec un matériau pareil, Liv Ullmann ne pouvait qu’exploiter le thème du féminisme, de la misogynie, de la lutte de pouvoir entre les sexes, de la folie et de la mort … Des thèmes bergmaniens.
La plupart de l’action se passe en huis clos et on ne voit que deux acteurs (Chastain et Farrell) la plupart du temps. Le spectateur en quête de détente ou d’amusement passera son chemin. Il faudra être pleinement concentré pour apprécier les échanges ( sinon vous risquez de trouver le texte ennuyeux : ceci dit, certaines scène devraient vous faire réagir, par exemple celle avec le canari de Julie).
Au final, cette adaptation de Strindberg est fidèle au texte et à l’esprit de Strindberg, tout en installant des idées propres à Liv Ullmann. L’interprétation est très bonne, en particulier celle de Jessica Chastain.
A conseiller à tous ceux qui aiment le théâtre, Strindberg, les acteurs et les films exigeants.
MADEMOISELLE JULIE
« Miss Julie »
un film de Liv Ullmann
Avec Jessica Chastain, Colin Farrell et Samantha Morton
D’après l’œuvre d’August Strinberg
- Norvège/Irlande – 2014 – 2h13
- Sortie le 10 septembre 2014
Et un film de plus sur ma liste !!
Là c’est vraiment la rentrée du cinéma !