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[Théâtre] Rencontre Francis HUSTER – Steve SUISSA autour du « Joueur d’échecs » de Stefan Zweig

RENCONTRE FRANCIS HUSTER – STEVE SUISSA
THEATRE RIVE GAUCHE – 13 AVRIL 2015 

Par Hélène Lailheugue

(c) Hélène  pour legenoudeclaire.com
Francis Huster et Steve Suissa – Crédits photo: Hélène Lailheugue


Depuis le 3 septembre 2014, Francis Huster joue au Théâtre Rive Gauche « Le joueur d’échecs », mis en scène par Steve Suissa. Il s’agit d’une nouvelle de Stefan Zweig, adaptée pour la scène par Eric-Emmanuel Schmitt.
C’est l’une des dernières œuvres de Zweig avant son suicide en 1942 au Brésil, et Schmitt dans son adaptation met en scène l’écrivain, qui devient ainsi le narrateur de l’histoire : Francis Huster incarne donc Stefan Zweig lui-même, qui, en compagnie de sa femme Lotte, voyage sur un bateau en route pour le Brésil, fuyant l’Europe et le nazisme. Il nous raconte sa rencontre avec le mystérieux Monsieur B, exilé autrichien, suite à une partie d’échecs organisée durant la traversée entre le champion Mirko Czentovic et des passagers.

Ce lundi 13 avril est organisée une rencontre blogueurs avec Francis Huster et son metteur en scène Steve Suissa.
Intarissable, laissant à peine la parole à Steve Suissa, Francis Huster va nous parler avec passion et véhémence de Zweig et du métier d’acteur…

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English: One of six woodcuts to the chess story The Royal Game by Stefan Zweig. Artist: Elke Rehder, Germany. (Photo credit: Wikipedia)

PIECE DE THEATRE vs. ADAPTATION DE TEXTE LITTERAIRE : DEUX FAÇONS DIFFERENTES D’ABORDER LE METIER D’ACTEUR

Francis Huster commence par nous parler de la différence qui existe entre une pièce écrite pour le théâtre et un texte littéraire adapté pour la scène.
C’est Antoine Vitez, son professeur au Conservatoire, qui lui a fait comprendre l’importance d’adapter des textes littéraires « pour y ajouter la profondeur exacte non pas de ce que dit l’auteur mais de ce qui n’est pas dit », « donner l’ombre du texte ». A partir de cette prise de conscience, son métier d’acteur va être coupé en deux, entre les « vrais » textes de théâtre d’un côté, le classicisme, et de l’autre les textes littéraires, qui lui donnent une liberté d’interprétation beaucoup plus grande.
Il dénonce ceux qui « cabotinent », se référant avec mépris à Fabrice Lucchini. « L’acteur de doit pas disparaître derrière le texte mais être en entier dans ce qu’il fait ».

Jouer dans une « vraie » pièce, avec des partenaires, est beaucoup plus confortable que d’être seul en scène. « Quand on joue une pièce de théâtre, on est dans un aquarium avec ses partenaires, on se fiche du public ! » s’exclame Francis Huster : ce n’est à la limite qu’au moment des saluts qu’on se rend compte que le public était là, dit-il… A l’inverse, quand on est seul en scène avec un texte littéraire adapté pour la scène, le partenaire est le public. Et c’est beaucoup plus difficile… « Quand on joue un texte seul en scène, c’est l’horreur : dès que je commence, je sens tout le monde, je sens qu’ils s’emmerdent ou pas ». « C’est un métier terrifiant ! »

LES DEUX MAINS DE L’ACTEUR

Francis Huster
Francis Huster – Crédits photo: Hélène Lailheugue pour legenoudeclaire.com– Théâtre Rive Gauche.

Francis Huster compare maintenant l’acteur à un pianiste. Un pianiste a deux mains : une main droite et une main gauche. Le comédien également a deux mains : la main droite représente le texte, la main gauche représente le sentiment. « 99,99% des acteurs sont sur une jambe, une main. Ils font du cloche-pied d’acteur ! Certains font des carrières sublimes à cloche-pied. Mais ceux qui jouent à deux mains, tu t’en rappelles toute ta vie. Quand l’acteur joue à deux mains, tu joues avec lui ».
En effet, le texte ne se suffit pas à lui seul : tout le monde peut dire un texte. Mais faire passer l’émotion, c’est autre chose… « Le texte, c’est rien, c’est du pipeau ! Il faut cimenter le texte avec le sentiment. Telle phrase c’est de la rage, telle phrase c’est de la peur. Le texte vient tout seul si le sentiment est là. C’est ça notre métier, c’est la main gauche ! »
Quand Francis Huster joue Monsieur B, il dit ne pas jouer : il souffre vraiment. « T’es dans un ailleurs, mais le problème c’est de ne pas s’y perdre, sinon tu joues pour toi, pas pour l’autre. Moi je rentre dans un ailleurs, mais avec vous. »
Il s’enflamme : « Les acteurs qui jouent sans avoir le sentiment à 100% font semblant ! Tout est faux ! Ils refont tous les soirs la même chose, exactement pareil. Les virtuoses, eux, ne font jamais la même chose. C’est le sentiment qui parvient au public, pas le texte ! »

Il explique que les sentiments, avec Zweig comme avec Camus, sont « des sentiments insupportables à jouer car c’est contradictoire. Un acteur contradictoire ne s’écoute pas, ne se regarde pas. C’est un fou » qui passe sans cesse d’une émotion à une autre.

Eric-Emmanuel Schmitt, lorsqu’il a adapté « Le joueur d’échecs » pour le théâtre, « a su placer l’œuvre dans l’écrin qui convient. Et l’écrin qui convient à Zweig, c’est que dès le départ on a perdu la partie contre la mort », justement parce qu’on ne voit rien venir.

Devant tant de souffrance avouée, un blogueur pose la question : « comment vivre avec toute cette douleur ??? »
Francis Huster répond : « Merci de me poser cette question. La vie est impossible… Si j’avais pas mes filles, je sais pas comment je ferais ! »

(c) Hélène pour legenoudeclaire.com
Steve Suissa (c) Hélène Lailheugue pour legenoudeclaire.com

LE METTEUR EN SCENE

Le metteur en scène, selon Francis Huster, est un chef d’orchestre (le texte étant la partition), qui choisit jusqu’où l’émotion peut aller chez tel ou tel acteur. Le metteur en scène, en plus de s’occuper des décors, des costumes, de la scénographie (tout ça ne regarde pas l’acteur, qui doit se contenter de jouer), doit rythmer l’acteur dans le phrasé, et se mettre à la place du public, car c’est lui le premier spectateur : il doit ressentir si l’émotion parvient ou pas au public. Acteur depuis 1963, Francis Huster dit n’avoir rencontré que quatre vrais metteurs en scène, de vrais directeurs d’acteurs. Steve Suissa, qui d’ailleurs était son élève chez Florent, en fait partie : étant lui-même comédien, il sait diriger les acteurs. Le metteur en scène ne doit pas dire à l’acteur comment il doit dire le texte, par contre il doit lui dire si le sentiment est là ou pas.

STEVE SUISSA : COMMENT DIRIGER UN COMEDIEN COMME FRANCIS HUSTER ?Enfin, grâce à une question qui lui est directement posée, Steve Suissa va pouvoir s’exprimer, avant que le comédien ne reprenne la parole pour ne plus la lâcher !Il explique que toute collaboration s’établit sur la confiance et sur l’estime. Comme dans un couple, on trouve une façon de fonctionner ensemble. Et pour répondre à la question (comment canaliser un acteur comme Francis Huster, qui est, comme nous avons pu le constater, plein de passion dévorante…), il dit qu’il est beaucoup plus agréable pour un metteur en scène d’avoir un acteur qui se donne complètement, « qui joue sa vie à chaque fois qu’il monte sur scène », que quelqu’un qui veut simplement « montrer à ses amis ce qu’il a sous le capot ». Il est plus facile de canaliser quelqu’un qui se donne beaucoup que de demander à quelqu’un de donner plus. « Plus un acteur est grand, plus il épure pour ne garder que l’essentiel ».
Selon lui, s’il y a une réelle fusion entre le texte, l’acteur et tout ce qu’il y a autour (son, costumes, décors…), le spectacle peut durer trois ans. Sinon, pas plus de deux semaines. Il n’y a pas d’entre-deux pour ce type de spectacle. « Tout doit être en symbiose : si quelque chose cloche, on ne voit que ça ».

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Stefan Zweig :Copyright – PUBLIC DOMAIN (Photo credit: Wikipedia)

ZWEIG : LE LACHE

Francis Huster nous parle maintenant de Stefan Zweig*. Il nous a dit au début de la rencontre que celui-ci était « l’un des dix grands auteurs de [sa] vie », il a d’ailleurs écrit un livre sur lui qui sortira en septembre.
On s’attend donc à ce que le comédien voue une admiration sans borne à l’écrivain… Erreur ! On se rend compte avec surprise que s’il admire en effet l’auteur et son œuvre, il dénonce au contraire, presque avec mépris, la lâcheté de l’homme. Et il développe sa pensée :
« Zweig était célébrissime dans le monde entier », déjà de son vivant. Autrichien, juif, né dans une famille soucieuse de s’assimiler (ce qui revient à renier la religion), il grandit dans une Autriche qui, 30 ans avant Hitler, était un pays déjà on ne peut plus antisémite. Il devient poète et journaliste, il écrit pour des journaux, va dans le monde entier. En 14-18, il doit aller dans les tranchées comme journaliste de guerre : devant tant d’horreur, il devient pacifiste. Au cours des années 30-40, il devient l’homme le plus célèbre d’Autriche : « on adapte ses textes au cinéma, à Hollywood ! »
Zweig est donc un homme influent, dont la parole compte pour beaucoup de monde, mais il ne va pas se servir de ce pouvoir pour dénoncer le nazisme et tenter de le contrer.
« Quand le nazisme commence comme une pieuvre à s’importer dans le monde entier, Zweig ne va pas réagir ».
En 1930, Richard Strauss lui demande d’écrire un livret pour l’un de ses opéras. Quelques semaines avant la première, le compositeur est convoqué par Goebbels, qui lui demande d’enlever le nom de Zweig de l’affiche, puisqu’il est juif. Strauss, héroïque, répond : « Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un nain ». Il refuse donc de rayer le nom de Zweig de l’affiche, mais en conséquence, l’opéra sera déprogrammé au bout de trois jours. Zweig comprend enfin ce qui se passe et part en Angleterre. Mais il continuera de se taire, assistant sans rien dire à la montée du nazisme en Europe, la quittant finalement pour le Brésil avant de mettre un terme à sa vie. Selon Francis Huster, il a fini par se dire « je suis responsable », d’où son suicide. « Quand on se suicide en laissant une lettre alors qu’on sait ce qui se passe dans le monde… C’est le contraire qu’il faut faire, il faut résister ! On prend des responsabilités héroïques quand on est une des personnes les plus connues du monde. » Il compare Zweig à Jean Moulin et de Gaulle, qui, eux, alors qu’ils n’étaient pourtant pas encore célèbres, « ont tout fait pour résister ».

Pour en savoir plus sur la question, rendez-vous en septembre pour la sortie du livre de Francis Huster, « Stefan Zweig le Nobel oublié ».

Le comédien, quant à lui, après avoir souffert avec Zweig pendant plus d’un an, jouera à la rentrée une comédie pour se remettre de ses émotions !!!

Hélène Lailheugue, pour les Ecrans de Claire

  • Pour aller plus loin
*Stefan Zweig

« Né en Autriche en 1881, Stefan Zweig, désespéré par la montée du nazisme, s’est suicidé en 1942 au Brésil, où il avait émigré. Résolument européen, il fut le biographe éclairé de nombre de ses amis pacifistes. Il est aussi l’auteur de romans – La Confusion des sentiments ou Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme – où il met subtilement en scène sa connaissance de la psychanalyse naissante. » ( via Audiolib.)

LE JOUEUR D’ÉCHECS BA from Théâtre Rive Gauche on Vimeo.

*Une autre adaptation récente de Zweig, cette fois en film : Une promesse de Patrice Leconte

2 Comments

  1. MissG

    J’ai eu l’occasion de voir Francis Huster, au Théâtre Rive Gauche justement, dans l’adaptation du « Journal d’Anne Frank ». J’ai pris littéralement une claque, c’est un véritable comédien de théâtre, que j’ai vu souffrir sur scène, comme rapporté dans l’article, au début de la pièce tandis qu’il attend à la gare que ses filles (Margot et Anne dans la pièce) reviennent et qu’il apprend qu’elles sont mortes.
    En lisant ses réponses c’est en totale adéquation avec son jeu d’acteur.
    Sur ce, je m’en vais achever « La confusion des sentiments » !

    • Claire

      Merci pour ce commentaire , je n’ai pas vu la pièce, mais j’ai déjà eu l’occasion d’écouter Francis Huster… Un vrai passionné.
      Le Théâtre Rive Gauche propose un autre Zweig en ce moment : 24h dans la vie d’une femme avec Clémentine Célarié… ça fait beaucoup d’idées de sorties et de lectures tout ça !

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