Jacques Weber joue actuellement dans « Gustave » au théâtre de l’Atelier.
Nous avons vu la pièce avec Hélène et je peux vous dire que M.Weber porte la pièce sur ces larges épaules. Le rôle de Gustave Flaubert est taillé pour lui, épicurien, râleur. Parfait pour ce ténor des planches qui nous livre une belle performance car la pièce consiste en un monologue d’une heure et demie…
Hélène a eu l’opportunité de rencontrer Jacques Weber. Voici son compte-rendu.
RENCONTRE AVEC JACQUES WEBER –
THÉÂTRE DE L’ATELIER, 19 juin 2015
A l’occasion de la reprise de « Gustave » au Théâtre de l’Atelier, qu’il jouera jusqu’au 23 août prochain, Jacques Weber rencontrait le 19 juin 2015 un groupe de blogueurs pour parler de la pièce et de son métier de comédien.
Le spectacle, qu’il a déjà joué plusieurs fois ces dernières années dans des mises en scène différentes et des lieux divers, se base sur la correspondance de Gustave Flaubert, où l’homme se livre avec passion et sans retenue, dans un style qui détonne fortement avec celui qu’il emploie dans son oeuvre.
Jacques Weber, qui nous reçoit dans la salle du théâtre, s’assoit très simplement sur le bord de la scène, les pieds dans le vide, pour cet échange dans lequel il s’engage avec beaucoup de passion et d’humanité.
Devant le décor, au demeurant très simple, il nous explique qu’il ne prétend en aucun cas retracer au travers de ce rôle la réalité de Flaubert, auquel il ne ressemble d’ailleurs pas le moins du monde physiquement : car si les mots sont bien ceux de l’écrivain, qui s’exprime en son propre nom en toute liberté, on est loin du biopic. « Il y a une très large part de moi-même dans l’interprétation de ce texte », dit le comédien.
LA PIÈCE :
Genèse :
A l’origine du spectacle, un jeune auteur : Arnaud Bédouet, primé aux Molières pour certains de ses écrits, avait rencontré Jacques Weber du temps que celui-ci dirigeait le Théâtre de Nice. Un jour il lui demande s’il connaît la correspondance de Flaubert : Jacques Weber, qui ne connaissait de l’écrivain que ses romans, découvre alors une facette méconnue de cet homme, qui, ne pensant pas être publié, s’exprime ici sans retenue, « en totale liberté ». Son style y est débordant, « toujours dans l’exagération de la perception des choses » : « ça rit, ça pète, ça pleure, c’est la vie ! », s’exclame Jacques Weber. Ainsi, Flaubert écrit parfois des choses très crues, pour ne pas dire vulgaires, que le comédien restitue telles quelles. Amusé, il avoue choquer parfois la sensibilité de certains spectateurs, persuadés que l’on prête au grand homme des propos qu’il n’aurait jamais pu tenir…
Pour écrire sa pièce, Arnaud Bédouet a pioché un peu partout dans l’abondante correspondance de l’écrivain (quatre double-volumes !) afin de créer un ensemble cohérent qui deviendra « Gustave ». Selon Jacques Weber, la pièce permet de faire découvrir au public l’ « épanouissement d’une pensée extrêmement sensible, imaginative, pleine d’acuité, pleine de fulgurance et de drôlerie ».
Le point de départ de « Gustave » :
Flaubert, après avoir beaucoup voyagé, se retire à Croisset où il s’enferme pendant sept ans pour s’adonner à la littérature : c’est là qu’il écrira son chef-d’œuvre, Mme Bovary. Pendant cette longue période, auprès de sa mère qui lui cuisine ses repas, il vit à heures fixes, avec un programme bien précis : lire de grandes œuvres, écrire sa correspondance, et surtout rédiger son roman. Au moment où la pièce commence, Flaubert vient d’apprendre que sa maîtresse le quitte. Ne comprenant pas pourquoi, il se confie à son jardinier, personnage quasiment muet mais présent en permanence à ses côtés.
Les différentes versions de « Gustave » :
La première, mise en scène par l’auteur, a eu lieu au Théâtre Hébertot, et a été très bien accueillie par la critique.
La deuxième, mise en scène au Théâtre de la Gaîté Montparnasse par Loïc Corbery, a également très bien marché.
La troisième, jouée au Théâtre de l’Atelier plusieurs années après, soit fin 2014, doit son existence à l’insuccès de la pièce de BHL jouée par Jacques Weber au même endroit : les représentations ayant pris fin plus tôt que prévu, le comédien a proposé de remplacer ce projet par 30 représentations exceptionnelles de « Gustave ».
Et, toujours au Théâtre de l’Atelier, la pièce est actuellement présentée pour la 4ème fois – Jacques Weber ayant proposé de la jouer tout l’été car « je suis malade si je joue pas, c’est une drogue » – dans une mise en scène de Christine Weber, l’épouse du comédien. « J’ai traversé la vie avec ma femme pendant 32 ans », nous dit Jacques Weber. Il s’agit d’une mise en scène très simple, dont le but est de créer un « lieu poétique pour que le récit théâtral se pratique ». Plus que de la mise en scène, il s’agit surtout de direction d’acteur : sa femme le connaît par cœur, sait exactement comment le diriger. Et il explique qu’il a eu un peu de mal, ayant joué ces derniers mois « L’avare » dans de très grandes salles, à « retrouver le diapason pour parler intimement. Le monologue intérieur, c’est difficile de trouver sa teinte exacte ». Autrement dit, il faut s’adapter à la taille du théâtre, et trouver un juste équilibre entre le trop proclamatif et le trop intimiste.
Les personnages :
On l’aura compris, le personnage principal, c’est Gustave, alias Flaubert, représenté à sa façon par Jacques Weber. Mais Gustave n’est pas seul sur scène : la restitution des lettres de Flaubert appelle certes au monologue, mais Weber ne nous livre pour autant pas un one-man show. En effet, il a un partenaire quasi muet : Eugène, le jardinier auquel Flaubert se confie, qui ne dit qu’un seul mot dans la pièce… « Cette présence apporte beaucoup. S’il est là, à m’écouter, on a l’impression que je lui parle même si je ne le regarde pas. »
Et ce partenaire, Philippe Dupont, n’est « pas comédien du tout, c’est lui qui fait les lumières du spectacle ! C’est un taiseux, pour ce rôle c’est formidable ! »
JACQUES WEBER LE LECTEUR :
A la question « quel est votre livre préféré de Flaubert, Jacques Weber nous répond qu’il est « un malade fou de sa correspondance, ça c’est sûr ». En ce qui concerne les romans, « Un cœur simple c’est magnifique, mais quand même le chef d’œuvre absolu c’est Bovary ». Mais il ajoute que pour lui, « le bouquin du 19ème qui [lui] semble encore plus immense, c’est Une vie de Maupassant », « un des plus grands romans en langue française qui ait été écrit ».
LE THÉÂTRE AUJOURD’HUI :
Selon Jacques Weber, la vie théâtrale parisienne était à une époque très éclectique : on jouait de tout, tout le monde pouvait y trouver son compte. Aujourd’hui, la prolifération de spectacles du type « Mon cul sur la commode » met cet éclectisme en danger : « ça doit exister, mais il ne faut pas qu’il n’y ait que ça ! Le divertissement peut se pratiquer sous toutes ses formes, c’est sérieux le divertissement ! Le grand danger, c’est la rupture d’équilibre. »
De même, la confusion entre amateurisme et professionnalisme pose problème : « c’est très bien le théâtre amateur, il faut l’encourager, mais les effets pervers sont là, de plus en plus de gens disent qu’ils sont comédiens alors qu’ils ne le sont pas ! Les gens ont envie d’apprendre à s’exprimer et prennent des cours d’art dramatique. Mais ça n’a rien à voir avec le boulot d’acteur. Un métier, c’est la mise à distance ».
Tout cela conduit à un phénomène de « déculturisation » contre lequel il faut lutter. « Toute forme de progrès à ses effets pervers : au moment où le progrès se met en place il ne faut pas le contester sous prétexte qu’il y aura des effets pervers, mais il faut essayer de les maîtriser. »
La solution ?
« Il faut former le public », aller au-devant du public défavorisé, celui qui ne va pas spontanément au théâtre parce que c’est trop cher, et parce qu’il n’a pas l’habitude de ce type de sortie. Aller jouer dans les lycées pour sensibiliser les jeunes à des textes qui ne leur sont pas familiers mais qui peuvent leur parler, les toucher, si on leur donne la chance de pouvoir les entendre. Car la démarche inverse, attendre que ces jeunes viennent « dans nos temples sacrés », c’est une ineptie selon Jacques Weber. D’ailleurs, il ajoute que « le monde ouvrier n’a jamais été au TNP, c’est pas vrai. » Mais cette sensibilisation des jeunes directement dans les lycées dépend de la bonne volonté des comédiens, qui jouent le plus souvent gracieusement dans ces cas-là, ce qui explique que la coutume n’est pas aussi répandue qu’elle pourrait (devrait ?) l’être…
Mieux encore : jouer dans les prisons… Jacques Weber évoque le souvenir de la prison de Grasse, où il a un jour joué « Gustave ». « Le silence s’est fait pendant une heure et demie, c’était très émouvant ». Mais ce qui l’a marqué davantage encore, c’est le moment où, dans le spectacle, il casse une bouteille de vin. C’est alors que dans le public, des voix s’élèvent : « ah non, pas ça devant nous ! » Depuis, Jacques Weber a changé la mise en scène et ne casse plus la bouteille…
LE MÉTIER DE COMÉDIEN :
Jacques Weber, pour décrire son métier, nous raconte l’anecdote du chien et du canard… Un jour au bois de Meudon, le labrador du comédien fonce sur un canard. Celui-ci, imperturbable, attend le dernier moment pour esquiver… et à l’instant où le chien arrive sur lui, il bouge et se plante un peu plus loin. Le chien, obligé de freiner brusquement, fonce à nouveau sur le canard, qui à nouveau attend le dernier moment pour changer de position… Le manège continue ainsi jusqu’à épuisement du chien… « J’ai eu peur pour mon chien ! » dit Jacques Weber. Qui ajoute : « Le rapport entre un acteur et un rôle, c’est le chien et le canard. A la fin de la carrière, le canard s’envole et le rôle aussi ! »
Quant au personnage, quel qu’il soit, « il est sensiblement différent chaque soir », en fonction des événements de la journée, de la météo… « Tout compte ! » Le soir du 11 septembre, ou le soir du décès de son père, Jacques Weber a joué, mais l’atmosphère particulière dont il était imprégné a forcément eu des retentissements sur son jeu. Il y a au théâtre une « immédiateté faite du temps présent », qui rend le jeu théâtral, en constante évolution, bien différent du jeu cinématographique, figé une fois pour toutes. D’ailleurs, s’il est un « fou de cinéma » en tant que spectateur, il se sent mieux au théâtre en tant que comédien : « moi j’ai besoin physiquement de la scène ».
PROJETS :
Jacques Weber a pour projet de monter une trilogie théâtrale autour de Molière avec un même duo d’acteurs : « Dom Juan » (qui désordonne l’amour), « Tartuffe » (qui désordonne la famille) et « Le Misanthrope » (qui désordonne la société). « Molière c’est une construction. Il ne parle que de la société bourgeoise. Il plaide pour la nécessité du grand désordonnateur… Dom Juan, Alceste, Tartuffe, le mensonge n’est pas de leur côté ! »
Et contre toute attente, le comédien, qui a déjà joué les trois rôles principaux des pièces en question, rêve de jouer Philinte, Orgon et Sganarelle, en laissant à son partenaire le soin d’incarner Alceste, Tartuffe et Dom Juan…
Quant au partenaire… Le projet était à deux doigts de se monter avec Niels Arestrup mais celui-ci ayant eu d’autres engagements, il est désormais question de Denis Lavant…
A suivre !!!
Et en attendant, rendez-vous au Théâtre de l’Atelier jusqu’au 23 août pour « Gustave » !!!
- GUSTAVE, Théâtre de l’Atelier
Du mardi au samedi à 21h/ Le dimanche à 15h30 – Durée : 1h30
- Retrouvez Jacques Weber au cinéma cet été dans » Les Bêtises « de Rose et Alice Philippon.