Quentin, jeune homme aveugle qui a grandi à Neuilly dans un cocon familial aussi confortable qu’étouffant, vient de s’installer dans un studio à Barbès pour tenter de prendre son indépendance et prouver à sa mère un peu trop protectrice qu’il est capable de vivre seul. Il rencontre sa voisine, Julia, jeune femme pétillante, libre et entière, qui loue le studio mitoyen. C’est alors que sa mère Florence, venue faire des courses à Paris, débarque chez lui sans prévenir, espérant le convaincre de rentrer à la maison avec elle…
Adaptation d’une pièce de Leonard Gershe, « Butterflies are free », écrite en 1973 et devenue un classique à Broadway, cette pièce décrit avec un subtil mélange d’humour et d’émotion l’envolée du nid d’un jeune homme trop couvé qui découvre enfin la vie, tardivement mais sûrement, cherchant à se libérer de l’emprise de sa mère, aimante et protectrice à l’excès, et à se construire un avenir bien à lui. Il s’agit là d’un thème universel, et chacun peut s’y reconnaître plus ou moins, ou y reconnaître un proche.
Mais c’est aussi plus particulièrement l’histoire d’un jeune homme dont le handicap rend plus difficile ce passage à l’âge adulte et cette émancipation, non seulement parce que la société n’est pas adaptée aux besoins des minorités, mais aussi parce que l’entourage immédiat du héros, de peur de le voir souffrir plus qu’un enfant ordinaire, a fait de lui un être bien plus handicapé qu’il ne le serait s’il avait pu se confronter plus tôt à la vraie vie, avec son lot de difficultés et d’expériences enrichissantes. Sans parler de l’attitude maladroite de ceux qu’il rencontre et qui, peu habitués au handicap quel qu’il soit, sont déstabilisés par sa différence, ne sachant pas au premier abord par quel bout la prendre.
Circulant dans un décor très bien conçu, aussi sympathique que réaliste, les comédiens sont plus que convaincants, Julien Dereims en tête : il est impressionnant de vérité, relevant le défi de la cécité sur scène d’un bout à l’autre du spectacle sans jamais se trahir, regard vide et pourtant expressif par tout son être, jouant comme si de rien n’était une partition émotionnelle difficile avec beaucoup de sincérité. Face à lui, Nathalie Roussel est parfaite, à la fois drôle, irritante et touchante dans son rôle de mère bourgeoise et castratrice, aux antipodes d’Anouchka Delon qui incarne avec beaucoup de naturel son personnage de jeune femme aussi frivole qu’authentique et profonde. Quant à Guillaume Beyeler, il est insupportable à souhait !
Une belle représentation du passage à l’âge adulte et des relations mère-fils ; une fine observation du « choc des cultures » (si l’on peut par cette expression décrire l’opposition entre le monde de la grande bourgeoisie et celui du milieu populaire dont est issue Julia) ; un regard subtil sur le handicap, comment il se vit de l’intérieur et comment il est perçu par autrui. C’est aussi une jolie histoire d’amour et un hommage à une jeunesse qui rêve d’art et de liberté. Un très beau texte, adapté avec talent par Eric-Emmanuel Schmitt qui a su habilement transférer cette histoire new-yorkaise des années 70 dans le Paris d’aujourd’hui. On rit beaucoup, on est ému aussi. C’est une comédie bien sûr avant tout, mais qui porte à la réflexion et dont les personnages sortent grandis.
Hélène Lailheugue, pour les Ecrans de Claire
LIBRES SONT LES PAPILLONS
De Léonard Gershe,
adaptation : Éric-Emmanuel Schmitt,
mise en scène : Jean-Luc Moreau,
Avec Nathalie Roussel, Anouchka Delon, Julien Dereims, Guillaume Beyeler
Théâtre Rive Gauche (Paris),
depuis le 15/01/2016
du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h
OFFRE DECOUVERTE JUSQU’A -20% SELON LES CATEGORIES ET JUSQU’AU 19 FEVRIER 2016 INCLUS
- Pour aller plus loin :
« Butterflies Are Free » a été adapté au cinéma par son auteur Leonard Gershe, avec Goldie Hawn. Eileen Heckart a remporté l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour sa performance.
Joli décor, mise en scène vivante, on sourit quelquefois.
Les deux personnages principaux jouent bien avec un surjeu pour la jeune fille qui donne d’ailleurs l’impression d’être plus explosive qu’elle ne veut le montrer. (On verra plus tard dans sa carrière…) La mère aussi surjoue un peu dans son rôle de protectrice castratrice, sauf à la fin où son ton s’affine. Le fils est impeccable, très crédible, touchant. En revanche, l’autre zigoto n’est pas à la hauteur du personnage qu’il devrait figurer ; il semble ballot alors qu’il devrait être un Don Juan opportuniste et menfoutiste.
Et le texte est gentillet, pétri de bons sentiments dans une situation presque banale à propos du handicap, de l’amour maternel et de la prise de liberté. On devine souvent « le mot » qui va suivre. On espère toujours autre chose mais on voit les gros sabots qui avancent pesamment ou au contraire, qui étonnent car il y a des « manques ». Par exemple, aucune indication du changement de point de vue de la mère..
Tiens, à un moment, la jeune fille dont on sait qu’elle n’est pas cultivée a une expression qui ne relève pas du tout de son niveau de langue. Quelque chose comme « Je ne m’aventurerais pas à… » C’est un bug, nan ?
L’ensemble n’est pas très crédible. Particulièrement quand la jeune fille revient au bras d’un autre sans état d’âme, et ne cesse de l’enlacer et de se faire peloter devant son amoureux d’un jour et sa mère devant laquelle elle avait précédemment une attitude plus retenue. Qui fait ça ?! Tout ce cinéma pour bien nous faire comprendre, nous montrer, nous prouver sa légèreté ou son lunatisme. Dans le cas où on ne l’aurait pas bien vu, allez, encore un bisou ! Qu’elle doive faire sa valise nous aurait suffit, monsieur le metteur en scène…
Personnellement, je ne me suis pas profondément ennuyée mais avec cette impression d’avoir quand même perdu mon temps.
Merci pour ce bel avis, très complet et argumenté. Au plaisir de vous relire sur ce blog.
J’ai bien apprécié cette pièce. Et pour cause, le sujet est intéressant, le rythme est soutenu du début à la fin, et les acteurs sont vraiment crédibles.