Tristan prête à nouveau sa plume au blog pour nous livrer son avis sur Cézanne et moi, la chronique d’une amitié et d’une brouille entre deux grands artistes : Paul Cézanne et Emile Zola. Ce film de Danielle Thompson, avec Guillaume Canet et Guillaume Gallienne, sortira sur les écrans français mercredi 21 septembre.
AVIS
Après l’échec de son dernier film, Des gens qui s’embrassent, Danièle Thompson a abandonné le genre de la comédie de mœurs, qui avait fait son succès, pour s’essayer à celui, de nouveau en vogue, du biopic. Si la reconstitution qu’elle y met en scène est fidèle, son nouveau long-métrage Cézanne et moi n’est toutefois pas réalisé avec la même maîtrise que ses modèles.
Paul et Émile
Élèves du même collège d’Aix-en-Provence, Émile, le fils orphelin d’un ingénieur italien, et Paul, celui d’un riche banquier, deviennent inséparables. Devenus jeune adultes, ils montent à Paris, fréquentent les aspirants artistes et mènent la vie de bohème. Mais tandis que le nom d’Émile Zola commence à être reconnu dans le monde littéraire, celui de Paul Cézanne reste désespérément inconnu et le peintre se voit même écarté du Salon des Refusés…
Guillaume et Guillaume
Le genre du biopic confronte les acteurs à un véritable défi : il ne s’agit plus pour eux de composer un être de pellicule mais de reproduire l’allure, la diction, la gestuelle d’une personne ayant réellement existé. Or, si nous ne disposons d’Émile Zola et de Paul Cézanne que des tableaux et des daguerréotypes, ceux-ci sont assez connus pour que le spectateur puisse avoir des attentes précises au sujet de leur apparence.
Et sur ce plan, force est de reconnaître que Cézanne et moi est une véritable réussite : si Guillaume Canet est, comme à son habitude, honnête, l’autre Guillaume, Gallienne, incarne un Cézanne saisissant de vérité. Et si la performance de la distribution féminine est honnête, les autres comédiens de la Comédie Française, Laurent Stocker et Christian Heck, parviennent à donner corps à la bande des impressionnistes, à conférer au long-métrage cette vraisemblance qui manque à tant de biopics.
Une mise en scène naturaliste
De même, c’est dans un XIXe siècle plus que convaincant que Danièle Thompson fait évoluer ses acteurs. La méthode est simple mais efficace : en reproduisant à l’écran des affiches, des enseignes, des tenues que le spectateur a pu voir sur des clichés d’époque, sur des tableaux signés des grands noms de l’impressionnisme, le long-métrage nous immerge dans l’atmosphère de la bohème parisienne.
Le spectateur trouvera ainsi plaisir à retrouver les lieux et les paysages qu’ont popularisés les célèbres tableaux de Paul Cézanne, à reconnaître la maison d’Émile Zola à Médan, où ont été tournés les scènes du film. De même que l’écrivain travaillait de manière extrêmement documentée lorsqu’il écrivait ses Rougon-Macquart, Danièle Thompson a fait les recherches nécessaires pour recréer dans son film une France qui ait la texture de la réalité.
Un film pour classes Terminales
C’est toutefois en voulant étendre son procédé à l’ensemble de son récit que Danièle Thompson en évente l’illusion. Elle parsème de fait son long-métrage d’allusions, d’apparitions qui alors même qu’elles se veulent subtiles, dévoilent, par leur trop grand didactisme, toute l’artificialité du dispositif : le film n’oublie ainsi jamais de nommer par son nom de famille tout peintre aujourd’hui renommé que les deux amis croisent, une admiratrice vient demander hors-champ un autographe à Guy de Maupassant, on parle, en passant, des cahiers préparatoires d’Émile Zola. Autant de clins d’œil qui pourraient être efficaces s’ils ne sortaient pas tout armés des pages que consacre le Lagarde et Michard au naturalisme.
Le complexe de Cyrano
De même, les dialogues sont affectés par ce défaut si courant dans le cinéma français de la trop grande littérarité de leur style. Danièle Thompson a certes eu la bonne idée d’agrémenter les répliques des personnages de citations extraites de leur correspondance mais en les saupoudrant dans des conversations bien plus triviales, elle les désigne malgré elle comme telles : et sitôt qu’émerge, au milieu de propos motivés par la nécessité du quotidien, l’une de ces perles de style, elle ne fait malheureusement que souligner l’artifice de l’ensemble.
L’objectif est certes de montrer au spectateur que les génies sont également des êtres humains mais en s’attardant sur leurs petites histoires, le film en oublierait presque qu’ils sont des artistes. La création est ainsi presque reléguée au second plan, les Rougon-Macquart réduits à un succès de librairie et le différend artistique qui finit par opposer Zola à Cézanne passe au second plan derrière la rivalité sociale et sentimentale qui oppose les deux hommes.
Cézanne et nous ?
Malgré ses défauts, Cézanne et moi aurait néanmoins pu être un film agréable : or c’est paradoxalement la manière dont sa promotion a été pensée qui le rend décevant. En cause, d’abord, le titre qui laisse imaginer au spectateur que ce « moi » sera un anonyme proche du dernier Cézanne, une manière de Yann Andréa ou un avatar du Majordome de Lee Daniels ; en cause également l’affiche du film qui nous suggère une plongée cinématographique dans l’univers pictural de Paul Cézanne.
Or ce mystérieux témoin n’est autre qu’Émile Zola et il impose au film un point de vue non pas impressionniste mais naturaliste, un point de vue qui en dit davantage sur l’écrivain que sur le peintre : il s’avérera en outre ne pas être le narrateur du récit mais uniquement l’un de ces personnages qui, en abandonnant son ami Paul Cézanne durant les années où sa créativité atteint son paroxysme, le condamnera à emporter dans la tombe le mystère de son art.
Cézanne et Zola
Danièle Thompson semble ainsi n’avoir gardé des tableaux de Cézanne que leurs cadres, laissant le spectateur avec la peinture de ce dernier, libre de rêver le film qu’un autre réalisateur aurait pu tourner : car, tant qu’à s’intéresser à la vie de ces monuments que sont Cézanne et Zola, autant s’emparer de leur dimension romanesque, de l’affaire Dreyfus, de la mort d’Émile aux côtés de sa maîtresse. Un Miloš Forman, par exemple, aurait certes déchaîné la colère des spécialistes en imaginant l’implication d’un Paul Cézanne rongé par la jalousie dans l’assassinat de son meilleur ami mais quel film il nous aurait offert !
Tristan Isaac
un film de Danièle Thompson
Avec : Guillaume Canet, Guillaume Gallienne, Alice Pol, Déborah François,
Sabine Azéma, Gérard Meylan, Laurent Stocker, Isabelle Candelier et Freya Mavor
LE 21 SEPTEMBRE 2016 AU CINÉMA
Un film Pathé
Pré- sélectionné pour représenter la France aux prochain Oscars
Zola. Le meilleur argument ! 🙂
Après avoir lu « L’oeuvre », le film peut se tenter.
Tout à fait !!!