Aujourd’hui c’est le Blue Monday, le jour le plus déprimant de l’année ! Mais, moi, je dois dire que j’ai bien rigolé en finissant le livre The Disaster Artist : ma vie avec The Room, le film le plus génialement nul de l’histoire du cinéma. Un titre et une lecture des plus réjouissants.
Présentation du livre The Disaster Artist
En 2013, dix ans après la sortie du film THE ROOM, Greg Sestero, un des acteurs principaux, a publié ce livre décrivant le tournage du film ainsi que des éléments biographiques de l’excentrique Tommy Wiseau, l’acteur, réalisateur, producteur de ce chef d’œuvre du kitsch devenu culte. La traduction française sortira le 23 janvier 2018 (aux éditions Carlotta), et nous devrions découvrir l’adaptation en long-métrage réalisé par James Franco le 7 mars 2018.
Greg Sestero est l’acteur principal de The Room, aux côtés et sous la direction de Tommy Wiseau.
Tom Bissell est journaliste (Harper’s Magazine) et écrivain (Dieu vit à Saint-Pétersbourg, Apostle: Travels Among the Tombs of the Twelve)
Avis de lecture
J’ai beaucoup ri et j’ai souvent été bouche-bée à la lecture de The Disaster Artist… et pourtant il ne s’agit pas d’une œuvre de fiction.
Ce livre est donc une autobiographie partielle de Greg Sestero qui raconte le tournage catastrophique du nanar culte » The Room » , un film écrit, réalisé, produit et joué par un certain Tommy Wiseau, un self-made-man étonnant décalé et flippant…
L’ouvrage raconte aussi en parallèle les aspirations d’un jeune acteur (Greg Sestero) débarquant à Hollywood et les désillusions qui s’en suivent.
Le livre se concentre surtout sur l’étrange relation d’amitié avec ce drôle d’oiseau qu’est Tommy Wiseau, amitié ambiguë car Tommy s’immisce dans la vie de Greg en l’hébergeant il y a une sorte de fascination et de répulsion entre les deux hommes qui ont été colocataires à un moment. De même il vampirise littéralement Greg, le jalouse et l’espionne, tout comme il espionnera plus tard toute l’équipe du tournage de son film…
Greg Sestero nous livre aussi le résultat de son »enquête » sur son « ami » Tommy… Tommy apparaît comme totalement paranoïaque… Il ne livre à Greg que des informations sur lui au compte-goutte… Il dit à la mère de Greg avoir le même âge que son fils (19 ans à leur rencontre en 1998) alors qu’il a bien 25 ans de plus !
Tommy a clairement des problèmes psychologiques importants – c’est peut-être dû à des accidents de voiture, peut-être à son enfance et à son jeune âge et à ses expériences de jeune adulte… En tout cas le témoignage de Sestero nous donne l’impression qu’il s’agit d’un homme mégalomane, extrêmement seul, obsessionnel et dénué d’un certain sens de réalité. Ainsi, il créditera en tant que producteur et directeur de casting son mentor, décédé depuis PLUSIEURS années. Greg, devenu acteur principal, se retrouve producteur exécutif…
Le tournage est donc chaotique, Tommy licenciant régulièrement des membres de l’équipe et décourageant de nombreux professionnels.
C’est surtout l’absurdité des situations sur le tournage qui fera rire le lecteur… Tommy ayant dépensé plus de 5 millions de dollars pour ce film rempli de faux raccords et doté d’un scénario enfantin et incohérent. Sans parler des décors, de la musique…
Les talents d’acteurs de Tommy étant très limités, il fallait plusieurs heures pour qu’il dise correctement des répliques de quelques secondes qu’il avait lui-même écrites !
Je vous laisse découvrir les petits et grands événements du tournage, qui devraient certainement vous étonner, ou vous faire sourire- surtout si vous avez déjà assisté de près ou de loin à la création d’un film.
Dans The Disaster Artist, Greg Sestero cite en partie les confessions de Wiseau… Ce dernier aurait grandi quelque part dans le bloc de l’Est, et serait arrivé à Strasbourg durant son adolescence, sans argent ni papiers. Le jeune homme se serait à ce moment-là renommé Pierre. Après beaucoup de galères en Alsace – où il connaît une altercation avec la police- et un passage à Paris , il arrive en Amérique, pour vivre avec son oncle et sa tante à Chalmette, en Louisiane. Sur les conseils d’une connaissance, Tommy Wiseau ( qui ne s’appelait pas encore ainsi) aurait déménagé à San Francisco, et trouvé un travail de vendeur de rue.
Wiseau à cette époque était surnommé « L’homme aux oiseaux » pour ses jouets en forme d’oiseaux ; Tommy a donc modifié son patronyme en Thomas Pierre Wiseau, « prenant le mot français pour oiseau, et échangeant le O avec le W de son nom de naissance ». Il aurait plus tard changé son prénom en Thomas, puis Tommy. Wiseau serait ensuite devenu très riche très rapidement en créant un magasin de babioles et de jeans à bas prix…Greg Sestero utilise le conditionnel et il est sage d’en faire autant tant cette success story est improbable. En tout cas, Tommy était propriétaire d’un immeubles de plusieurs étages dans un quartier côté de SF. Et il n’a pas hésité à dépenser des millions de dollars sur son films, en achetant le matériel, en payant une promo monstrueuse etc… Le mystère sur la fortune reste donc entier. L’équipe du film The Room pensait sérieusement que le film permettait de blanchir de l »argent pour le crime organisé. Mais en même temps, Sestero dit que Tommy serait la dernière personne à qui il faut confier cette délicate mission…
Greg Sestero et son co-auteur alternent les passages relatant le tournage, la bio de Greg, et le récit sur le passé de Tommy …
Je dois dire que j’ai apprécié le style de ce texte très vivant et souvent drôle !
Greg Sestero fait preuve de beaucoup d’humour, de recul et d’honnêteté (il me semble). Sestero est assez ambivalent envers Wiseau, il n’hésite pas à révéler la part d’ombre de l’homme mais aussi sa détermination sans failles … Une relation complexe entre les deux hommes qui ont été amené à partager le même appartement.
Avec son co-auteur, Tom Bissell, il ouvre chaque chapitre avec une citation d’un film. Il s’agit principalement de « Monsieur Ripley » de Minghella (je me permets aussi de conseiller Plein Soleil qui raconte la même histoire deux décennies avant ) et de « Sunset Boulevard » de Wilder… il y a aussi des références à d’autres films comme « JF partagerait appartement ».
Le titre de chaque chapitre est souvent une citation de Wiseau.
Au passage, chapeau bas aux traducteurs qui ont non seulement traduit l’ouvrage depuis l’anglais, mais aussi depuis le langage de Tommy, apparemment un langage à part, l’anglais n’étant pas le point fort de Tommy.
Les traducteurs Marie Casabonne et Pierre Champleboux expliquent dans une note introductive leur volonté de conserver et de traduire le langage Tommy , car » sa mauvaise maîtrise de la langue fait partie du personnage et du mystère qu’il entretient autour de ses origines. »
En refermant le livre, on comprend que James Franco qui signe la préface de The Disaster artist, ait eu envie d’en faire un film ainsi que d’interpréter l’énigmatique Tommy. The Disaster artist, le livre, parle de cinéma, d’envie de création, d’amitié, de croire en soi et décrit un magnifique personnage de cinéma, comique malgré lui : Tommy Wiseau !
D’ailleurs les Golden Globes ont donné raison à James Franco puisqu’il a été récompensé par le prix du meilleur acteur dans un film comique.
Les vrais Greg Sestero et Tommy Wiseau étaient présents à la cérémonie alors qu’ils avaient été boudés à la sortie du film en 2003… Une sorte de revanche, plus de 15 ans après… Tommy est d’ailleurs monté sur scène à la demande de Franco. Malheureusement – oui j’écris » malheureusement » car je suis vraiment curieuse de savoir ce que Tommy aurait dit – James Franco ne lui a pas laissé le temps de parler… Sans doute aurait-il fait une étrange déclaration à la Tommy ou bien aurait -il empếché James Franco de parler !
Maintenant, pour prolonger l’effet euphorisant de cette lecture, il ne me reste plus qu’à visionner « The Room », en attendant le film de Franco le 7 mars prochain … En connaissant le contexte derrière « The Room » et sa difficile genèse, le visionnage du film n’en sera que plus impactant…Regarder The Room serait apparemment une expérience tellement marquante que certains spectateurs se filment en train de découvrir le film, ou le décortiquent scène par scène comme le Youtuber Star PewDiePie. Le Grand Rex projettera le film sur grand écran en février, mais la séance est déjà complète !
THE DISASTER ARTIST
Ma vie avec The Room, le film le plus génialement nul de l’histoire du cinéma.
de Greg Sestero et Tom Bissell
Publié le 23 mars 2017
Editeurs : Carlotta , en collaboration avec les Inrocks et Panic Cinéma
272 pages
ISBN : 979-10-93798-03-5