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[Avis] Big Eyes de Tim Burton

L’envie de bien faire peut être nuisible. C’était visiblement le problème de Margaret Keane, reniant sa personnalité et la maternité de son œuvre, invisible aux yeux de la société, éclipsée par son mari manipulateur.

C’est peut-être aussi le problème de Tim Burton qui a visiblement décidé de narrer l’histoire de la femme peintre des « Big Eyes » en effaçant toute sa fantaisie habituelle. Pour mieux mettre en valeur l’histoire ? Ou pour l’amour de l’ar(gen)t ?
Tout le film oscille entre la thématique de l’art pour l’art ou de la commercialisation d’une œuvre d’art …
Tim Burton, c’est un artiste se questionnant sur la mort et sur la place des reclus, des minorités et autres « freaks » dans notre société.
Mais c’est également un réalisateur à succès qui a réalisé deux Batman, une Planète de singes, fils prodigue des studios Disney. Burton prépare une adaptation live de Dumbo pour les studios Disney. Burton lui-même tiraillé entre l’art, et l’argent… Big Eyes est tout aussi dichotomique que le parcours professionnel du cinéaste américain.

Avis sur Big Eyes : pour l’amour de l’art … ou de l’argent !

De l’argent…

Big Eyes est un biopic , et on le sait, ce genre cartonne … Et oui, lire « Basé sur des faits réels » à l’écran et que je vois au générique de fin la photo des « vraies » personnes semble être devenu un gage de succès.

Je l’avoue, je suis moi -même très friande de biographies filmées. J’ai l’impression d’apprendre des choses, et c’est vrai que parfois la réalité dépasse la fiction en matière scénaristique…

Dans un biopic, on gomme bien souvent toutes les aspérités du personnage, et il subsiste un doute : est-ce que ces faits sont exacts ou ont-il été romancés ?

[Le coup du procès avec compétition de peinture est énorme, »bigger than life » ! Si c’est comme ça que se règlent les problèmes de copyright à Hawaï, je prends mon billet direct ! ]

Ce ne serait pas étonnant que Tim Burton, à ma connaissance jamais nommé aux Oscars, soit cité pour une statuette pour ce film. Ou que l’un des interprètes principaux le soit.

Interprètes très »bankables », eux mêmes passés par la case Oscars que ce soit Amy Adams (Mme Keane) ou Christoph Waltz (Mr Keane).

Pourtant la caméra de Tim Burton est neutre. Le film est très classique, très conventionnel (j’ai déjà parlé du générique de fin, mais celui du début est également typique du genre biopic). Tim Burton nous « peint » des plans californiens et hawaïens. C’est joli mais pas marquant, très cliché… en gros cela rappelle les croûtes représentant Paris de Walter Keane. ( Était-ce donc intentionnel ?)

Il y a bien d’autres défauts dans ce film, ou plutôt des maladresses, comme la bande originale pas spécialement marquante mais pourtant appuyée par moments. Sauf quand Lana Del Rey interprète sa chanson, là j’ai bien aimé.

Autre bémol : la voix « off ».

Là encore, Burton semble avoir peur de se planter, et donc il suit les règles du biopic. Mais le propos est intéressant, et je me suis laissée porter par l’histoire. Et puis, parfois, Burton sort du cadre.

De l’art…

Burton est un dessinateur avant tout, souvenez-vous l’exposition de Tim Burton. Qu’il soit attiré par les peintures des Big Eyes est tout à fait logique, les personnages qu’il dessine ont également des yeux étrangement exorbités… D’ailleurs dans une interview à propos de Johnny Deep il dit de l’acteur qu’il avait de grands yeux … à la Walter Keane ! (A l’époque il ne devait pas être au courant de la supercherie.)

« Portrait de femme »
Dans Big Eyes, on voit Margaret Keane peindre. Burton nous dépeint le côté ascète de l’exercice : on retrouve la figure de Edward aux mains d’argent, banni dans sa tour, innocent qui ne cherche qu’à exercer son art et à rendre service pour se faire aimer.
Mais on pense aussi à Johanna de Sweeney Todd ou à Sally dans l’Etrange Noël de Mr Jack, deux femmes séquestrées. Et à de nombreuses héroïnes burtoniennes, femmes éthérées qui parfois reprennent le contrôle de leur vie, voire prennent l’ascendant sur les hommes. Dans certains cas, elles peuvent même tuer (Selina Kyle/ Catwoman, Katrina Van Tassel aux pouvoirs magiques dans Sleepy Hollow, Kim dans Edward…) Les apparences sont trompeuses… et Big Eyes nous le dit et nous le redit.

Si Margaret Keane est bien la victime, elle est en même temps un peu nunuche, et là on pense au « Portrait de femme » de Jane Campion , une adaptation de Henry James… Elle accepte de céder 330 tableaux à son mari, et de travailler comme une esclave. Elle est juste un brin passive agressive quand elle découvre la vérité sur son mari.Margaret reste jusqu’au point où sa vie et celle de sa fille sont menacées, alors qu’elle aurait pu plusieurs fois laisser éclater la vérité au grand jour.

Mais Amy Adams met le spectateur dans sa poche, et compose un personnage plus ambigu qu’il n’y paraît. « Peindre et faire l’amour » ( film des frères Larrieu autrement plus troublant) : Margaret souhaite faire les deux. Et si possible que son second mari lui assure une sécurité financière et un statut social. Quitte à se brûler les ailes.

De l’art-naque

Dans le rôle du mari Christoph Waltz m’a un brin déçue, j’ai trouvé son jeu excessif ! A un moment j’ai même eu l’impression qu’il singeait Jack Nicholson dans Shining ( gros plan sur son œil derrière la porte)ou Barbe Bleue… Était-il en roue libre ou Burton lui a t-il dit d’en faire des tonnes ? Son personnage est cependant assez nuancé au début. On voit comment il arrive à s’enfermer dans un mensonge permanent.

Ce mythomane transforme son couple en association de malfaiteurs (ou plutôt d’arnaqueurs !), forçant Margaret à mentir, même à sa propre fille. Il se métamorphose clairement en ogre vers la fin du film, et en homme fou…

A noter que Walter Keane est décédé, donc nous ne connaîtrons jamais sa réaction sur le film, mais que son ex-femme , Margaret, est toujours vivante.

Dans le cadre et hors cadre

Si Burton charge la barque de Walter, professionnellement, le réalisateur se situe entre ses deux héros. Il est le mélange entre l’innocence et la mélancolie de Margaret mais il connaît le succès et s’est adapté (plié ?) aux demandes hollywoodiennes pour faire fonctionner la planche à billets… Quand Walter commercialise les affiche de l’expo des Big Eyes, quand il vend des cartes postales à leur effigie, ne suit -il pas le système du merchandising, tout comme Tim Burton ? Burton ne rejette pas le succès et l’argent en bloc. Sinon, on ne trouverait pas de « Jack » ou des personnages de « Frankenweenie » sur nos t shirts. Sinon, il n’aurait pas fait certains films de commandes…

Enfin, parfois, au milieu de tout cet académisme, le Burton que l’on connaît appose sa signature. Quelques plans marquent la mémoire. Le premier, la banlieue américaine dans toute sa splendeur, celle qui fait peur à Burton, on se souvient avec émotion de la banlieue bien-pensante dans Edward aux Mains d’argent ou de celle de Beetlejuice.) Clin d’oeil direct et visible de tous placé dès le départ.

Les autres plans fascinants sont ceux des  » grands yeux ». Margaret voit les gens, et elle-même, affublés de grands yeux. La frontière entre rêve et réalité est gommée, son œuvre prend vie. Ce sont des passages qui amènent un peu d’étrangeté et de fantaisie au milieu de ce mélodrame. et puis la scène des portes, qui font penser à des films d’épouvante et à des contes de fées.

N’oublions pas la citation de Warhol, intelligemment choisie et placée en guise d’introduction . »Je pense que ce que Keane a fait est tout simplement extra. C’est forcément bon. Si c’était mauvais, il n’y aurait pas tant de gens pour aimer ça. »
Andy Warhol
était contemporain des Keane. Il peignait des boîtes de conserves et est devenu le prêtre du Pop Art.

Margaret Keane peignait des portraits de femmes et d’enfants aux grands yeux, décriés – pourtant ses œuvres ont connu un succès fou, démocratisées jusqu’au supermarché. La boucle est bouclée. L’art accessible à tous. L’art pour tous. Succès populaire contre valeur artistique…

Puisqu’on en est au niveau des citations, c’est le moment de sortir le fameux « Heureusement que nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité » de Nietzche.

Et bien les scénaristes de Big Eyes (Scott Alexander et Larry Karaszewski) semblent nous dire in fine « Heureusement que nous avons l’art pour ne pas mourir du mensonge ! »

***

Au final, Big Eyes n’est pas nul : je ne suis pas d’accord avec ceux qui le comparent à un téléfilm du dimanche. Toutefois le film est la plupart du temps conventionnel. Les thématiques abordées sont en revanche très intéressantes : c’est un film féministe ou plutôt c’est une réflexion universelle sur la condition féminine. Même si Margaret Keane est un produit de son époque, sa problématique reste actuelle : partout dans le monde, il reste difficile pour une femme de se faire reconnaître en tant qu’artiste. Sans parler du fait que de nombreuses femmes voient leurs droits les plus élémentaires reniés, leur existence niée, mais c’est une autre histoire. L’histoire de Margaret Keane m’a donc beaucoup parlé, j’ai compati. Peut-être parce que je suis une femme ?
Big Eyes, c’est également un film sur l’art, la peinture et son commerce.
Il y a certainement beaucoup à analyser sur la décision de Burton de réaliser un tel film. Son choix est mine de rien, moins anodin qu’il n’en a l’air. Ce portrait de femme et de peintre a de nombreux points communs avec son propre parcours.

Fiche film BIG EYES

Date de sortie : 18 mars 2015 (1h47min)
Réalisé par Tim Burton
Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston

PS : A part le bémol sur Waltz, l’interprétation est bonne. Les seconds rôles sont très bien, que ce soit la bonne copine Krysten Ritter de « Breaking Bad » ( elle a le physique de Lisa Marie, l’ex de Burton !) , Jason Schwartzman en galeriste affairiste et affairé, Terence Stamp en critique d’art à la dent dure…

Distribué par Studio Canal

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