Menu Fermer

[Critique] LA BELLE ET LA BETE de Jean Cocteau (1946)

LA BELLE ET LA BETE  est ressorti en salles hier.
Voici deux avis croisés sur ce chef-d’œuvre de Jean Cocteau.

belle et bete cocteau

***

Un avis (positif) sur La Belle et la Bête de Cocteau

A l’occasion de la ressortie du film de 1946 « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau le 25 septembre 2013 dans une version restaurée (4K), nous avons été conviés à la projection du film par la filiale SND appartenant au groupe M6.

La remasterisation d’un film post-guerre.

Un descriptif bien instructif sur les méthodes utilisées pour la remasterisation du film nous a été délivré en guise de mise en bouche. Ainsi, des astuces ont été mises en place par l’équipe technique pour que ce film résiste au temps et garde son charme d’antan.

Il est vrai que voir un film que je n’avais pas vu depuis que je n’ai plus l’âge de jouer à la marelle était stimulant de prime abord…Mais le voir en salle en haute définition avec ce nouveau grain fut un agréable moment.

Le format des films d’époque a été préservé. Et la qualité de l’image et le son mettent enfin en valeur la poésie et la féérie du film.

En effet, les scènes tournées dans la pénombre, comme au château de la Bête n’en sont que plus savoureuses. Les nombreux éléments fantastiques dans le film représentés par les différents objets quasi personnifiés, les contrastes entre ombres et lumières, les gros plans sur les personnages principaux que sont « La Belle » et « La Bête » sont définitivement plus appréciables. Sur ce grand format, les images, les décors et les costumes nous plongent, entre réalisme et onirisme, au cœur du conte illustré par Cocteau. Souvent utilisé, le silence devient assourdissant.

Cocteau fut déçu lui-même des scènes tournées au château, trop sombres selon lui. La restauration ne fait pas de miracle, malgré toutes les astuces mises en place, néanmoins elle permet aux spectateurs de découvrir ou redécouvrir un chef d’œuvre dans de meilleures conditions.

Les différentes inspirations de Cocteau : « Un rêve dormi debout »

Le film qu’il réalisa à l’époque fut adapté d’un conte pour enfants de 1757 écrit par Mme Leprince de Beaumont. Le rendu du conte en version cinématographique réadapté par Cocteau a été plutôt bien exécuté.

A la différence de Madame Leprince de Beaumont, il humanise objets, mobilier et créature. Il donne vie à ce qui est désincarné, retirant ainsi la présence de Dieu et de fées dans le conte. Il change la destinée des sœurs de Belle et en fait une caricature quasi identique aux sœurs de Cendrillon. On distingue les jeux de miroirs, le thème du double inversé que Cocteau met en place à travers plusieurs pôles : les sœurs acariâtres et Belle, figure maternelle, Avenant et la Bête… Il s’amuse à disséquer l’être humain dans ce qu’il a de plus beau et ce qu’il a de plus vil à la fois.

Le temps et le lieu de l’histoire n’ont pas d’importance. Nous sommes transportés dans une dimension où l’irréel devient réel, où la beauté est en contraste avec l’extérieur, où la laideur de l’âme ne se voit pas au premier regard. Ici, il faut regarder autrement et croire à « l’incroyable ».

C’est ce qui est signifié en préambule dans le film où il invite le spectateur à accueillir de nouveau cette naïveté si chère à l’enfance. Cocteau nous invite tout simplement à se rappeler d’une période passée parfois oubliée, à se revêtir d’un déguisement qui n’est plus. Il commence son film par un « Sésame ouvre-toi de l’enfance » comme il le nomme et glisse ces fameux quatre mots : « Il était une fois ».

Jean Cocteau dans La difficulté d’être, éditions du Rocher, écrit sur le merveilleux souvent rattaché à l’enfance: « On parle beaucoup du merveilleux. Encore faudrait-il savoir ce qu’il est. Je dirais que c’est ce qui nous éloigne des limites dans lesquelles il nous faut vivre ».

Ses différentes inspirations pour son adaptation cinématographique, il les puise à travers les différents contes de son enfance, Perrault étant sa référence. On retrouve l’influence de Vermeer pour l’atmosphère sociale et économique régnant au sein de la famille de Belle ou encore les gravures de Gustave Doré pour le château de la Bête afin d’y créer un monde fantastique. Cet univers est appuyé par l’utilisation des costumes créés par Christian Bérard. Une bonne partie de la poésie dans le film est véhiculée par les tissus portés par les personnages. Ces derniers nous font voyager dans une sphère spatio-temporelle qui intrigue et subjugue à la fois.

Le rythme du film : comme un livre ouvert

L’idée de Cocteau est de nous faire vivre le film au rythme de la lecture du conte, comme si nous étions à la fois lecteur et spectateur.

L’action, si l’on peut dire, est caractérisée par l’ultimatum de la Bête au début, l’arrivée de Belle au château et son départ.

Il est vrai que le rythme du film est très lent surtout durant la première moitié du film mais selon moi, ce n’est que pour mieux saisir le spectateur et l’embarquer dans un récit qui oscille entre rêve et réalité. Pour ma part, cette lenteur a été subie durant certaines scènes et ce malgré l’esthétique de l’œuvre de Cocteau.

En revanche, la deuxième partie plus dynamique avec l’arrivée de Belle chez son père va s’accélérer quitte à passer rapidement d’un décor à un autre, d’une scène à une autre. On passe alors des deux personnages principaux aux secondaires et vice et versa. Force est d’admettre que l’élément de résolution ainsi que la fin proprement dite sont trop peu développés.

La morale de la fin va intervenir auprès du spectateur et l’interroger sur ce que sont l’amour, la beauté physique et celle du cœur.

« L’art ne vaut à mes yeux que s’il est la projection d’une morale. Le reste est décoratif. »

Autre icône chère à Cocteau à la fois à la ville et à l’écran, c’est bien sûr Jean Marais, il incarne à lui seul trois personnages dans le film.

Comme pour ironiser l’impact sur le public de la belle gueule de l’époque, il enlaidit le représentant d’une beauté adulée et en fait une Bête inquiétante et étrangement attendrissante.

Avec le personnage d’« Avenant », prénom signifiant, il représente l’exact opposé de la Bête. Charmeur, sans état d’âme, superficiel et prétentieux. L’ironie voudra qu’il ne pourra pas assumer une bataille finale pour prouver sa virilité toutefois ambiguë et conquérir Belle.

Par un fondu efficace, il réalise un transfert des traits d’Avenant sur la Bête. Belle qui se refusait à Avenant pour rester auprès de son père, poursuivant une logique Oedipienne, découvre un être étrangement familier (Avenant) sous les traits d’un beau prince incarnant la Bête.

Enfin la beauté intérieure de la Bête est adéquate à l’apparence externe qu’il arbore. Déroutée, elle finit par le suivre, on peut penser alors qu’une partie d’elle regrette le physique monstrueux de la Bête qu’elle avait appris malgré tout à aimer…

Voilà alors sans doute la morale sous-jacente de Cocteau qui consiste à dépeindre la beauté sous toutes ses formes, à briser les codes et à inviter le « spectateur-lecteur » à voir « le Beau » là où on ne s’attend pas à le rencontrer. Et pourquoi pas être séduit par cette beauté non consensuelle.

Perrine Lelong

La Belle et la Bête de Cocteau : contre critique

Perrine, « la Belle », a su voir toute la beauté du film de Cocteau. Passons maintenant à la contre critique  de « la Bête »…

Si « la belle et la bête » version Cocteau possède de nombreuses qualités esthétiques notamment grâce à ses décors, à ses costumes ainsi qu’à ses effets spéciaux ingénieux pour l’époque, il n’en demeure pas moins un film plutôt moyen.
Oscillant entre le merveilleux et le fantastique, le film souffre hélas d’un rythme trop lent et d’un jeu d’acteur exagérément suranné pour un divertissement de ce genre.
Dans un esprit assez proche, j’avoue volontiers ma préférence pour certains films fantastiques de la même décennie comme ceux de la Continental ou encore « les visiteurs du soir », véritable ovni cinématographique de Marcel Carné dans lequel la forme académique laisse place à l’audace et à la surprise.

Florian Thébaut

***

N’oubliez pas : si vous allez achetez une place pour le film, vous accédez gratuitement à l’exposition Cocteau à la Cinémathèque française.

Fiche du film La Belle et la bête.

De Jean Cocteau
sorti en France le 29 octobre 1946
Durée : 1h 36min
Noir et blanc

2 Comments

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.